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Art, Web3 et Marketing par Léo Caillard | Interview

« Le Web3 ramène du gaming et de l’expérientiel dans l’acte de consommation »

Artiste plasticien de 37 ans, Léo Caillard est devenu en 5 ans une des références de l’art numérique en France. Il partage avec nous sa vision du lien entre l’art, le web3 et le marketing.

Que doit-on savoir de vous ?

Quel est votre parcours ?

J’ai démarré en 2007 après avoir été diplômé de l’école des Gobelins, une école d’art numérique, dans laquelle j’ai eu la chance d’avoir, très tôt, une grande maitrise de la 3D et des nouvelles technologies. Puis, dans une logique plutôt inverse à l’évolution de la société, j’ai souhaité revenir à la sculpture sur marbre et me suis formé aux Beaux-Arts en 2010, pour me consacrer pleinement au métier d’artiste. Ma carrière a décollé en 2017 avec des expositions majeures au King’s College, au British Museum et puis les partenariats avec le Musée du Louvre lors de la création de mes premières œuvres. Depuis 2019, je suis très actif dans le milieu Web3 et NFT car je suis convaincu que l’art numérique sera la prochaine vague de l’art contemporain. Ayant cette double casquette et cherchant toujours à créer un lien entre le passé et le présent, je trouve tout à fait pertinent de mélanger la sculpture sur marbre et l’art numérique au sein de mes créations.

Comment lies-tu ton art organique et l’art virtuel ?

Je suis un passionné d’espace-temps et le lien entre le passé et le présent est vraiment le fil rouge de mon travail. Lorsque je vois une statue antique, pour moi elle est d’une modernité folle. Il y a 2000 ans qui nous sépare mais ce n’est presque rien : le temps n’existe pas. Je fais ce lien en gardant, déjà, toujours la même esthétique. Mon travail traite toujours de notre rapport au temps et de notre rapport à nos racines passées. Historiquement, en Occident tout au moins, nous avons tous une racine latine et j’essaie de montrer comment les mythes se répètent : pour moi, le selfie, c’est le Narcisse d’aujourd’hui. Nos habitudes numériques ne sont que des transpositions de nos habitudes réelles. Pour moi le virtuel et le réel ne sont qu’un concept, les deux ne sont qu’une seule et même chose.

Sur quelles plateformes peut-on trouver tes œuvres ?

Mes oeuvres uniques vont être sur des plateformes spécifiques comme SuperRare et en maisons de vente. Mes autres œuvres sont présentées sur des plateformes dédiées à l’édition, sur Nifty Gateway par exemple, ou sur Opensea. Mes œuvres en marbre sont exposées en Galeries d’art.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration ?

Mon inspiration essentielle vient du rapport au temps et de la manière de traiter les grands thèmes mythologiques dans notre époque – j’ai cité le selfie par rapport au Narcisse, mais le culte du Beau est aussi très propre au Décathlon. Nous sommes dans une époque très Néo-antique et cette Néo-antiquité m’inspire beaucoup. Le temps est un cercle, les choses se répètent. Cela a commencé par ma série des « Hipsters in Stones » en 2012 dont le style « barbe longue, cheveux longs, muscles » est très herculéen. Je trouve que la Vénus, l’Hercule, l’Apollon s’expriment fortement dans notre société actuelle, sous différentes formes.

Je suis un passionné d’espace-temps et du lien entre passé et présent. Le virtuel et le réel ne sont qu’un concept : pour moi, le selfie, c’est le Narcisse d’aujourd’hui.

Quel est le prix moyen de tes œuvres aujourd’hui ?

Les prix sont très variables d’une œuvre à l’autre. Pour moi, il est aussi essentiel que l’art ne s’adresse pas seulement à une élite financière. Les NFT et l’art numérique rendent l’art plus accessible. En moyenne, mes pièces en édition se vendent entre 500 et 1000 dollars pour une série de 20 à 50 pièces par exemple.
Mes œuvres NFT les plus rares se vendent en moyenne autour de 16 000€ et mes œuvres sur marbre entre 15 000 et 24 000€.

L’art, les NFT et le Web3

Les NFT, la blockchain et le Web 3 sont-ils une révolution pour le monde de l’art ? Si oui, en quoi ?

Dans l’art numérique, il faut comprendre que le visuel n’est pas l’œuvre dans son entité, l’entité de l’œuvre c’est le smart contract. C’est ce que je suis en train d’explorer en terme créatif, comme par exemple pouvoir faire évoluer la patine dans le temps, créer un phénomène de quêtes où le collectionneur est lui-même impliqué dans l’œuvre en devant réaliser un certain nombre d’actions pour que le NFT se révèle, … C’est une nouvelle forme d’art qui mélange la performance, le visuel, l’expérientiel, le temps, … Je pense à PAK, artiste solo ou collectif d’artistes, très coté en ce moment, dont l’œuvre est l’action qu’elle va générer via le smart contract : regardez sa fresque numérique de La Chapelle Sixtine, découpée en 560 tuiles représentées chacune par un NFT, vendues progressivement sans référence à l’œuvre dont elle émane et dont le contenu n’est révélé qu’après sa vente aux enchères réussie ; ou encore son projet The Merge en Open Edition, œuvre d’art hyper connectée et générative sans aucun aspect visuel particulier – c’est une boule blanche – qui se développe dans le temps au fur et à mesure des smart contracts : ces 250 000 tokens se sont vendus 91M$, c’est génial.

Qu’est que cela t’apporte à toi très concrètement ?

L’art numérique me ramène à mes premiers amours, à ma passion pour les sciences : je suis un artiste un peu geek, très analytique, très cartésien. Ça me pousse dans mes retranchements, ça m’oblige à apprendre sans cesse. Techniquement et conceptuellement. J’y trouve la joie de pouvoir créer sans la limite du réel, la possibilité de laisser libre cours à mon imagination totalement, de pouvoir être audacieux dans le rendu visuel, la mise en scène, l’expérientiel nouveau et possible grâce au smart contract. C’est un monde qui s’ouvre, terriblement rafraichissant et plein d’adversité, avec certes encore beaucoup de NFT spéculatifs, mais un monde qui pousse à l’audace.

Quels artistes associant art numérique et art réel apprécies-tu ? 

Je citerais PBoy, artiste de fresques murales de street art qu’il fait perdurer sous forme NFT. Drifter Shoots, grand photographe urbain qui fait des performances et se prend en photo une fois dans des points de vue complètement fous. Refik Anadol, bien sûr, qui vient de rentrer au MoMa dont le travail d’art génératif est purement numérique et qui commence à réfléchir à ramener du réel en mettant de l’IA dans les écrans pour que l’oeuvre évolue avec les mouvements des spectateurs face à ses oeuvres. Il essaie de travailler aussi avec des danseurs et des chorégraphes pour créer des œuvres génératives chorégraphiées. Tous ceux qui aujourd’hui ont les cotes les plus fortes, comme Refik, comme Beeple, comme XCopy, sont connus dans le milieu depuis 15 ans et sont tous pour la plupart, à part quelques effets spéculatifs, de véritables précurseurs de nouvelles formes artistiques.

Quelles sont les perspectives que tu y entrevois ?

C’est un mouvement qui va prendre en ampleur car il ouvre un pan de recherche créatif incroyable. L’art évolue avec les medium et il faut à minima 30 ans avant que des artistes ne s’emparent des innovations (la peinture à l’huile, la caméra obscura, la photographie, la peinture acrylique, le cinéma…). Le numérique approche ses 30 ans, et on voit que l’écosystème a, aujourd’hui,  la maturité nécessaire pour devenir un langage artistique a part entière, alors qu’il était, jusqu’ici, cloisonné au milieu du gaming et n’avait pas de moyen de s’en extraire. L’art numérique a toute sa place dans les musées aujourd’hui. Il va, à mon avis, devenir le prochain mouvement majeur du 21eme siècle.

L’art, la collaboration avec des marques et le Marketing 3.0

Quelles opportunités de collaboration Art/Web3 vois-tu pour les marques ?

Il y a une porosité plus forte entre les marques et le web3. Nativement, le Web3 ne donne pas de place à la publicité telle qu’on la connait. L’idéologie du Web3, c’est de quitter le mass media et d’être dans la création de communautés. C’est un vrai challenge car les personnes qui composent ces communautés – Web3-natifs, acheteurs de NFT, … – sont dans une approche décentralisée : ils n’ont pas envie de recevoir la même pub des mêmes marques en prime time. Ils veulent se sentir plus proches des marques qu’ils aiment, vont être plus sensibles à des communications privilégiées. C’est un énorme changement pour les marques et pour leurs agences de création si elles veulent s’insérer avec force dans ce milieu car cela appelle d’autres codes en termes de communication et d’approche marketing. Ces codes sont beaucoup plus proches de l’art dans sa manière de fédérer autour d’un mouvement et de laisser beaucoup plus d’espace et de liberté à la création. Les marques vont devoir s’entourer d’un collectif de partenaires créatifs, techniques, marketing beaucoup plus ouverts pour tomber juste.

Le Web3 amène d’énormes changements pour les marques et leurs agences de création car cela appelle d’autres codes en termes de communication et d’approche marketing

As-tu déjà collaboré avec des marques ou envisages-tu de le faire ? Sur quels types de projet ?

Je suis très fier d’avoir créé le NFT du Ballon d’Or et je suis en ce moment en discussion avec des marques de sportswear et de mode que je ne peux encore citer. Toutes les semaines, je suis approché et questionné sur les codes, notamment les codes créatifs, par des agences et des cabinets de conseil. C’est pour cela que j’ai créé mon studio, le LCD Lab, qui est spécialisé sur la création et la dimension artistique du web3. Ce lab se veut partenaire des marques, des institutions, des entreprises, des agences aussi pour « penser l’art dans le web3 ».

Est-ce que les NFT apportent de la valeur sur les marchés secondaires, la revente, la popularité des œuvres dans le temps ?

Il y a une confusion de langage autour du NFT : le NFT est une technologie qui peut très bien être appliquée à 10 000 images de chat, qui vont alors n’être que des « pin’s », qui ne vont pas évoluer dans le temps voire perdre en valeur car il n’y a pas de demande, ni d’utilité, ni de fonction, ni d’art. Dans ce cas la technologie pure n’a pas de valeur. « L’art numérique sous forme NFT » lui est très intéressant sur la création de valeur et sur le marché secondaire car il répond à deux problématiques de l’art : la traçabilité et la maitrise de la rareté.

La traçabilité et la maitrise de la rareté apportées par le smart contract et la blockchain sont une avancée énorme : dans l’art numérique sous forme de NFT, une édition tirée à 100 exemplaires est garantie à 100 exemplaires et pas un de plus. Chaque œuvre est unique et impossible à falsifier. Il faut comprendre que dans l’art, la valeur d’une œuvre est aussi portée par le fait de savoir dans quelles mains celle-ci est passée : une œuvre passée par de grands musées et des collectionneurs privés a gagné en valeur. On ne s’en rend pas compte, mais les Crypto Punks demain, passés dans certaines mains – de collectionneurs précurseurs, d’artistes amateurs d’art , etc… – vont gagner en valeur dans le temps grâce à toute leur histoire traçée sur la blockchain.

Quelles sortes de nouveaux usages et offres marketing imagines-tu autour de l’art et le web3 ?

Le Web3 bouleverse d’abord la notion de communautés, bien différentes et bien plus puissantes à terme que les communautés Web2. C’est en termes de data et de CRM que les nouveaux usages vont être les plus impressionnants car les wallets et les smart contracts apportent tout un nouveau pan de contactabilité et de connaissance client, automatisé tout en préservant l’anonymat. Cela inquiète les marques car, depuis des années, elles ont mis en place de nombreux moyens marketing pour mieux connaitre chaque client. Mais ça ne les empêchera pas de continuer à le faire, bien au contraire ! Avec le Web3, elles pourront, en parallèle, créer des événements ou des actions marketing directement via les wallets, et ce avec un coût de développement totalement à leur avantage par rapport à l’expérience apportée. Car le Web3 ramène du gaming et de l’expérientiel dans l’acte de consommation. Nike ou LVMH l’ont très bien compris.

Décembre 2022 Propos recueillis par Léa Hadj & Stéphanie Çabale pour Lynx partners

Photographies : @Leo Caillard

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