publication

Que l’on soit sensible ou non au CryptoArt, le NFT va révolutionner le secteur et les usages consommateurs

Avertissement au lecteur : le CryptoArt désigne un art numérique basé sur la technologie NFT. Dans le texte suivant, ce terme revêt l’ensemble des  courants artistiques existants (cryptoArt, PFP, art génératif, … ). J’ai volontairement cité un grand nombre d’acteurs impliqués dans le monde de l’art et du Web3 afin d’être concret, valoriser cette nouvelle communauté et informer les lecteurs désireux d’investiguer davantage ce sujet.

Le NFT va révolutionner l’art et les usages consommateurs

La pandémie, comme dans tous les secteurs, a contribué à accélérer la digitalisation de l’art : la fermeture durant 2 ans des foires qui représentent en moyenne 45% des ventes en valeur du marché a obligé les galeries à se réinventer en numérisant les œuvres de leurs artistes pour les présenter à distance à leurs collectionneurs et à être de plus en plus présentes sur les marketplaces traditionnelles : Artsy.com, Sothebys.com, Artnet.com, 1stdibds.com, …

Mais la plus grande révolution digitale de l’art est sans nul doute le NFT. Il permet de créer une œuvre digitale, la générer sur une blockchain, la vendre, la donner ou l’échanger sans aucune barrière physique ou géographique.

Son éclosion date de 2017 avec l’apparition des Cryptokitties et des Cryptopunks. Et sa médiatisation s’est fortement accélérée en mars 2021, lors de l’attribution chez Christie’s de « the first 5000 days » de Beeple, pour un montant de 65,9 millions de dollars alors que la mise à prix était de 100 dollars.

Si les taux de conversion des ventes et des enchères ont nettement baissé depuis, et ceci principalement à cause de la chute globale des cryptomonnaies, le CryptoArt s’installe inéluctablement dans notre paysage en témoignent les actions lancées par l’ensemble des acteurs de cet écosystème :

  • Christie’s a lancé Christie’s ventures un fonds d’investissement dédié au Web3 et à l’art numérique et, tout comme Sotheby’s dispose de sa propre plateforme de NFT ;

  • Art Basel présente dans toutes ses manifestations des artistes du CryptoArt depuis la reprise des foires en 2021 ;

  • La Superchief Gallery a ouvert la voie à New York en mettant en scène un espace 100% dédié aux NFT ; Artpoint, à Paris, propose de mettre en scène ses artistes dans l’espace public ;

  • Les grandes galeries internationales comme Gagosian, Pace, Clearing ou Mendes Wood multiplient les expositions physiques dédiées aux NFT ; fin juin, Gucci en collaboration avec SuperRare (une plateforme de ventes de NFT) a ouvert une galerie de CryptoArt : Vault Air Space ;

  • Les musées commercialisent des NFT de tableaux de maîtres : Egon Schiele pour le musée Léopold de Vienne, Hokusai et Turner pour le British Museum, ou Michel-Ange pour la Galerie des Offices ;

  • La France n’est pas en reste avec la NFT Factory qui a ouvert ses portes au mois d’octobre. Elle représente les parties prenantes du CryptoArt et d’autres secteurs impactés par l’essor des NFT ;

  • Art Price, le leader de l’information relative aux ventes aux enchères, ajoutera à ses banques de données, en 2023, l’Ethereum et le Bitcoin qui représentent 82% des transactions opérées sur le marché des ventes aux enchères en cryptomonnaies (1) ;

 

Quelles sont les caractéristiques de ce monde nouveau et singulier ?

Même si certains artistes particulièrement emblématiques de l’art organique, Jeff Koons, Damien Hirst, Banksy ou Takashi Murakami, …, ont réalisé et commercialisé des NFT avec des résultats très significatifs, les stars du CryptoArt sont Web3 natifs : elles ont moins de 40 ans et s’appellent Refik Anadol, Robbie Barrat, Mad dog Jones,…

De nouveaux artistes digital-natifs

 

Les Crypto Artistes ont pour plupart un background digital et numérique. Les technologies qu’il utilisent sont innovantes, font appel à des connaissances techniques : la blockchain, l’IA, la photogrammétrie, la modélisation 3D, …

Jean-Michel Pailhon, Chief of Staff de Ledger et collectionneur de street art et de NFT explique que « tout repose sur la technologie qui évolue en permanence » (2), ce qui ouvre indéfiniment le champ des possibles en termes de créativité et d’interactivité.

La complexité n’a pas de limite et le projet Hashmasks, outre son succès commercial (il a généré plus de 16 millions de dollars en 4 jours), est un bel exemple de projet innovant tant dans le processus de création que d’attribution des œuvres :

  • Un collectif de 70 artistes anonymes s’est partagé la création des « traits » soit le choix des masques, la couleur des yeux ou de la peau, du type de cheveux, de l’arrière-plan et de l’objet additionnel ;
  • Un algorithme a généré, automatiquement et aléatoirement à partir de ces traits, 16 000 portraits uniques ;
  • Les acheteurs ne pouvaient pas voir l’œuvre qu’ils allaient avoir car la distribution était aléatoire ;
  • Une distribution progressive de jetons NCT (Name Changing Token) aux détenteurs des œuvres est prévue et permettra à ceux-ci de modifier le nom de leur œuvre sur la blockchain une fois une certaine quantité de jetons atteinte. Le dernier NCT sera distribué dans 10 ans, à ce moment-là l’œuvre sera terminée. Ce système apporte à la fois une dimension évolutive et co-créative unique aux œuvres.

Si le NFT permet aussi de lier art organique et numérique, la porosité entre le CryptoArt et l’art contemporain devrait rester faible. Certains artistes réunissent ces deux mondes : Léo Caillard, a vendu certains NFT emblématiques de son travail autour de l’intemporalité, en les combinant avec ses sculptures en marbre.

 

De nouvelles formes de communication entre les artistes et leurs publics

 

La dématérialisation et l’accès direct au marché permet aux artistes d’éviter la sélection des galeries et leur garantissent d’être exposés en permanence auprès d’un large public. Pour autant cet accès n’est pas toujours payant : Robbie Barrat, 22 ans étudiant aux Beaux-Arts et star du CryptoArt déclarait en début d’année : « J’ai eu beaucoup de chance. Si on regarde les artistes sur OpenSea (la principale place de marché de CryptoArt), l’immense majorité n’a pas vendu une seul vignette ». (3)

Les artistes de la nouvelle niche NFT gagnent leur popularité en multipliant les collaborations en dehors du monde de l’art et des institutions artistiques et en gérant directement leur communauté sur les réseaux sociaux, principalement sur Twitter et Discord. Cet état d’esprit correspond véritablement aux fondamentaux du Web3 dont les membres souhaitent s’affranchir des intermédiaires (Meta, Google, ou dans ce cas précis des galeries). « Plus fondamentalement, avec le développement des réseaux sociaux, la valeur économique d’une œuvre ne repose plus seulement sur les espaces de légitimation traditionnels (galeries, musées, centre d’art), mais aussi sur la mesure de la circulation en ligne (likes, retweets, etc) » (4)

 

De nouvelles places de marché pour commercialiser leurs œuvres numériques

 

La vente directe via des places de marché dédiées augmente la valeur pour l’artiste en supprimant potentiellement la marge de la galerie (habituellement 50% de la valeur d’un tableau). Elle donne aussi accès à l’artiste à des royalties lors de la revente sur le second marché :

  • Il est possible de prévoir dans le code du NFT, dès la conception de l’œuvre, ses conditions contractuelles de vente et de revente ;

  • Le smart contract permet l’exécution automatique des conditions prédéfinies dans celui-ci.

Opensea représente plus de 66% des transactions totales de NFT et plus d’une dizaine d’acteurs sont présents sur le CryptoArt.

 

Places de marché NFT (Volumes, Frais, Royalties et Blockchain)

Les blockchains qui concentrent l’activité liée au crypto-art sont :

  • Ethereum, qui concentre les volumes et les collections les plus emblématiques
  • Solana, qui dispose d’une communauté plus jeune et engagée, attirée par des frais de transactions plus faibles,
  • Tezos, qui a actuellement le vent en poupe avec Objkt.com et FXHash la marketplace dédiée à l’art génératif. Les frais de transactions sont également très faibles et Tezos revendique depuis sa création d’être une « blockchain verte »..

Il semble qu’Instagram (Meta) « ait senti d’où souffle le vent » car le réseau social devrait proposer aux artistes de créer des NFT et de les revendre à leurs abonnés depuis l’application. Mark Zuckerberg a annoncé souhaiter étendre ces usages à Facebook.

La valeur des royalties sur les places de marché peut être très supérieure à celle des droits de suite traditionnellement concédés dans l’art organique et pas toujours appliqués. Par exemple, SuperRare permet à l’artiste de récupérer une rétrocommission à auteur de 10% lors des reventes de son NFT vs 4% du montant de la transaction plafonnée à 12 500 Euros pour le droit de suite – notons que si la France accepte les droits de suite, ces derniers sont interdits en Angleterre, en Chine et aux Etats-Unis..

La relation entre les créateurs, les places de marché et les collectionneurs est actuellement sous pression : la baisse des cryptomonnaies a impacté le commerce des NFT. La place de marché Magic Eden (Solana), a donc décidé, pour relancer son activité, de supprimer toutes les redevances de ses places de marché NFT estimant que les collectionneurs sont de moins en moins prêts à payer les redevances.

Les artistes risquent d’être les victimes de cette correction de marché et de voir leurs pourcentages réajustés à la baisse si d’autres plateformes s’engouffrent dans la brèche.

 

Des nouveaux clients à fort pouvoir d’achat et passionnés de création numérique

 

ArtPrice constate que le marché du CryptoArt élargit fortement la cible des collectionneurs : ils représentent « plus de 450 millions d’acheteurs de NFT potentiels de NFT d’Art » (5)./p>

Ces amateurs et collectionneurs d’Art ont entre 20 et 30 ans et sont principalement issus des mondes de la finance et de la tech. Ils sont rompus aux « manœuvres » qui permettent de spéculer sur la côte de l’artiste mais aussi sur les cryptomonnaies. Ils sont nettement plus démonstratifs que les collectionneurs organiques notamment grâce à la blockchain qui rend leurs actifs numériques visible de tous. Fanny Lakoubay, Lal Art Advisory, explique que « posséder un actif numérique est plus valorisant socialement pour eux que posséder une œuvre physique, car ils peuvent l’exhiber aux yeux du monde entier à travers leur avatar, et tout le monde peut vérifier qu’ils sont l’unique propriétaire de ce bien. Si vous postez une photo d’une montre Rolex sur Instagram qui me dit que vous l’avez vraiment achetée ? » (6)

A changement d’artistes, changement de collectionneurs : les collectionneurs d’art traditionnel et de NFT convergent peu :

  • La découverte des bons plans ne passe pas par les mêmes medias : d’un côté les galeristes, de l’autre les réseaux sociaux et le bouche à oreille
  • Les collectionneurs organiques sont attachés aux œuvres physiques contrairement aux adeptes du CryptoArt.

Selon Hiscox (7), « parmi les acheteurs d’art qui ont acheté des NFT au cours des 12 derniers mois, ceux qui ont acheté pour plus de 5 000 $ de NFT ne représentent que 15%. »

Et demain ?

Les NFT vont poursuivre leur croissance, dopés par leur dimension servicielle et la montée en puissance des métavers.
Certains projets NFT vont bien au-delà de la seule acquisition d’une œuvre d’art et apportent de nouveaux bénéfices exclusifs à leurs détenteurs :

  • Ils intègrent une communauté soudée, engagée et hyper active autour de valeurs et de centres d’intérêt communs
  • Ils ont aussi accès à des produits et avantages exclusifs via la notion de « NFT-gating » lorsque l’accès à un événement, lieu ou produit est conditionné à la possession d’un NFT particulier.

Le NFT permet de proposer une expérience qui dépasse la dimension esthétique.

Ainsi, les détenteurs de Bored Apes Yacht Club se sont vus invités à une fête privée sur un yacht à Miami ou un concert à New York. Ils disposent des droits de commercialisation des NFT dont ils sont propriétaires pour créer des projets et des produits dérivés. Ils bénéficient aussi d’accès exclusifs à d’autres collections de NFT (telles que Adidas Virtual Gear). Les propriétaires de CryptoPunk ont, de leur côté pu acquérir un pendentif Tiffany & Co à l’effigie de leur NFT (NFTiff).

Cette dimension servicielle ne se limite pas au CryptoArt. Les NFT fonctionnels prennent de l’ampleur : de plus en plus d’entreprises les utilisent comme outil d’animation clients, de fidélisation, d’engagement ou de nouveaux business models comme les abonnements, la vente de billets, la mise en place d’un CRM…

Les métavers, encore pour la plupart en construction (Sandbox, Otherside, Mira, Spatial, Helix, Journee,…), représentent un écrin naturel pour les NFT. Ils vont accélérer leur acquisition bien au-delà du CryptoArt : le passage de l’internet 2D à la 3D nous amènera à acquérir de nouveaux actifs tokenisables : nos lieux de vie et leur mobilier (Monde Singulier), la garde-robe (DressX, Transcend) de nos avatars (Ready Player Me, MetaHuman, …).

« Les NFT ont un potentiel monumental.
Les gens ont bien compris qu’on en a pour 20, 30, 40, 50 ans de NFT. Aujourd’hui c’est de l’art,
demain tout transitera par des NFT : immeubles, voitures, … En fait cela concerne toute notion de propriété »
John Karp, Président de la NFT Factory.

 

Les grandes marques ont conscience de ces enjeux et sont déjà actives

 

  • La Maison Hennessy a lancé plusieurs initiatives Web3 dont récemment la création de « Café 11 ». En collaboration avec la DAO Friends With Benefits (FWB), ils ont lancé ce club inédit, qui permet à ses membres d’accéder à des expériences culturelles exclusives dans des lieux insolites partout dans le monde. Pour devenir membre de ce club, il faut détenir l’un des 1765 NFT Café 11 conçue par John P.Dessereau. Ce nombre symbolique rend hommage à l’année de fondation de la Maison Hennessy.

  • Rémy Martin a lancé, en partenariat avec le chanteur américain Usher, une série de NFT pour célébrer la cuvée Rémy Martin 1738 Accord Royal, tout comme Pernod Ricard pour un Whisky de 51 ans d’âge, en partenariat avec BlockBar une marketplace NFT spécialisée dans le secteur des vins et spiritueux

  • Hermès, le 26 août dernier, a effectué « une demande auprès de l’Office Américain des Brevets qui couvre un logiciel téléchargeable permettant de stocker et de gérer des biens virtuels, des objets de collection numériques, des cryptomonnaies et des NFT pour une utilisation dans des mondes en lignes ». (8)

Nous n’en sommes qu’au début du commencement…

Bruno Rougier

 

 

(1) Communiqué ArtMarket – 10 nov. 2022Ì Thierry Hermann : le marché de l’Art Ultra-Contemporain en 2022
(2)
Jean-Michel Pailhon, Chief of Staff de Ledger – Podcast
(3) Judith Bannermanquist – Cointelegraph – 1 septembre 2022 – Robbie Barrat, 22 ans, la star des NFT et du CryptoArt que personne n’a vu venir
(4) Anthony Masure, Guillaume Helleu, « Singulariser le multiple : les NFT artistiques entre spéculation et redistribution », Multitudes, no 85, novembre 2021, https://www.anthonymasure.com/articles/2021-11-singulariser-multiple-nft-artistiques

(5) Communiqué ArtMarket – 10 nov. 2022Ì Thierry Hermann : le marché de l’Art Ultra-Contemporain en 2022
(6) Fanny LaKoubay – Le quotidien de l’art – Edition 2257 – 21 octobre 2001
(7) Hiscox Assurances – Deuxième partie du Rapport de l’Art en Ligne 2022 -27 avril 2022 – https://www.hiscox.fr/courtage/blog/nouveau-deuxieme-partie-du-rapport-de-lart-en-ligne-2022

(8) Judith Bannermanquist- Cointelegraph – 1 septembre 2022

Partager cet article