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Les 48 heures qui ont changé la donne du drive-to-store

Symbolisée par les annonces récentes de Leclerc et Carrefour, la transition vers l’ère du « post-prospectus papier » est lancée. Mais dans le contexte actuel, hors de question pour les précurseurs de sacrifier le trafic généré en point de vente. La clé pour eux est d’optimiser finement la bascule budgétaire en fonction des besoins des magasins et de leurs clients. Et donc d’intégrer dans leur mix la digitalisation du prospectus et des solutions de drive-to-store.

Drive-to-Store : Prospectus ou Digital ?

48 heures. C’est dans cet intervalle de temps, en décembre dernier, que s’est joué l’avenir du prospectus publicitaire en France. Le temps pour Michel-Edouard Leclerc d’annoncer l’arrêt d’ici septembre 2023 de la distribution en boîtes aux lettres de ses 50 000 tonnes d’imprimés publicitaires annuels… et pour Rami Baitieh de lui emboîter le pas en misant sur une réduction de 80% d’ici à 2024 des prospectus distribués par Carrefour France.

C’est donc plus de 200 M€ qui vont être désinvestis par ces deux géants. Les décisions de leurs concurrents (-30% pour Système U, 240 magasins sans prospectus et une réduction générale des paginations pour Intermarché) et celles d’autres acteurs du retail, moins médiatiques mais également actifs sur le sujet vont s’ajouter à cette enveloppe potentielle.

Si ces annonces font grincer des dents dans un secteur (impression, distribution en boîtes aux lettres) déjà en difficulté depuis plusieurs années, d’autres acteurs se frottent les mains face à cette manne financière. En effet, une partie significative devrait être réinvestie en communication publicitaire / promotionnelle sous d’autres formes. Parmi eux, une douzaine d’acteurs dits de « drive-to-store » proposent des solutions pour maintenir une visibilité et un trafic en point de vente comparables à ceux du prospectus. Des solutions certes pertinentes, mais qui doivent être pilotées intelligemment et ne peuvent être à elles seules le substitut unique du prospectus.

Les raisons du désamour

Si Michel-Edouard Leclerc reconnait que sa première annonce dès 2010 d’une suppression des prospectus à l’horizon 2020 était « naïve », le contexte a changé depuis, pour 4 raisons principales :

1/ Le coût du papier, certes historiquement cyclique, a atteint des sommets fin 2022, presque au double de son niveau moyen de la période 2018-2021. Et si nos clients ont obtenu pour 2023 des baisses tarifaires significatives, peu misent sur des prix durablement bas. Ajoutez-y des coûts d’impression et de transport en forte hausse, et vous obtenez un coût qui dépasse les 10 centimes d’euros par prospectus pour la plupart des enseignes. Le chiffre peut sembler faible, mais il correspond à un budget annuel au-delà des 100 M€ pour les principaux distributeurs en raison des volumes nécessaires pour couvrir les zones de chalandise.

2/ La fermeture progressive des boîtes aux lettres par le Stop Pub (+2 à 3% par an) et le Oui Pub (2,6 millions de BàL concernées par le pilote en cours).

3/ La défiance accrue des consommateurs vis-à-vis du prospectus papier, perçu comme peu écologique.

4/ L’émergence d’une multitude de solutions alternatives, notamment online, permettant de proposer au consommateur le contenu du prospectus, mais pas seulement – nous y reviendrons. Au point que 83% des annonceurs font aujourd’hui confiance au digital pour compenser l’érosion de la distribution en boîtes aux lettres.

Pour autant, tous ne s’aligneront pas sur la position du leader Leclerc et beaucoup maintiendront des prospectus comme arme de différenciation. Pour eux, la clé sera d’optimiser la répartition de ces tracts – nécessairement plus coûteux – entre les points de vente et entre les zones, en s’appuyant sur des modélisations et un géomarketing performants.

prospectus

La réduction du prospectus, risque ou opportunité ?

Traditionnellement, de nombreux annonceurs du retail ont construit leur plan de communication autour :

  • Des grands media pilotés au national,
  • Des leviers digitaux principalement achetés nationalement et peu différenciés entre les points de vente,
  • De catalogues/prospectus/tracts conçus au national (voire en régions), avec une autonomie donnée au réseau dans le choix des zones à distribuer, voire parfois même dans la définition des quantités,
  • A la marge, de kits de communication locale personnalisés au point de vente mais le plus souvent réservés à des évènements ponctuels (ouverture, anniversaire, …)

La réduction ou suppression des supports papier est donc à la fois un challenge et une opportunité.

Un challenge, car elle crée un sentiment d’inquiétude pour le réseau de points de vente qui – certes conscient des limites de la distribution des imprimés publicitaires – perçoit souvent le prospectus comme « son » outil de communication locale… alors que les canaux digitaux sont vus comme moins tangibles (« on ne les voit pas passer ») et moins ciblés géographiquement. Ceux qui franchissent le cap y vont donc « avec la peur au ventre », comme en témoigne Jean-Claude Pénicaud, adhérent Leclerc à Luçon.

Une opportunité, car les solutions et canaux digitaux présentent plusieurs points forts, en permettant de :

  • Compenser en bonne partie la perte de reach (le nombre de consommateurs touchés) causée par la réduction de la distribution, en s’adaptant aux nouveaux parcours clients toujours plus omnicanaux,
  • Mieux répondre aux exigences des consommateurs en termes de personnalisation des offres et services,
  • Maintenir un bon niveau de ciblage géographique et donc rassurer les points de vente sur la maîtrise de leur zone de chalandise,
  • Garantir une visibilité mesurable,
  • Générer des économies dans bon nombre de cas, grâce à un pilotage efficace de la bascule budgétaire du papier vers le digital.

Les acteurs du drive-to-store multi-local

Pour cocher ces cases, des acteurs se sont spécialisés dans l’utilisation des budgets digitaux en développant une expertise dite de « drive-to-store multi-local ».

Drive-to-store ? Ce nom chapeau regroupe l’ensemble des actions marketing diffusées sur le web et en mobile pour attirer les consommateurs en point de vente.
Multi-local ? Il s’agit d’optimiser l’achat media digital en le personnalisant au niveau local, souvent par point de vente ou groupe de points de vente.
A date, une douzaine d’acteurs émerge sur le marché français : Near, Armis, Bonial Reach, Widely, Adot, ShopFully, … D’abord marginales, souvent retoquées par la CNIL dans leurs jeunes années, ces solutions ont gagné en crédibilité et certains annonceurs n’hésitent plus à leur confier plusieurs millions d’euros d’achat media digital.

Acteurs drve-to-store

Si l’objectif est le même, ces solutions différencient leur positionnement et mettent en avant leurs singularités :

  • Le pilotage de la solution : certaines sont des solutions clé-en-main à destination de l’annonceur ou de son agence media, d’autres requièrent un accompagnement ou un pilotage par le prestataire.
  • Le ciblage géographique : leur grande force, mais avec une précision variable en fonction de la technologie de localisation utilisée (GPS, Bluetooth, Wifi). Les prestataires proposent ensuite une diffusion en rayon autour du point de vente, par isochronie et/ou à l’IRIS.
  • L’expertise data : la qualité de la donnée utilisée et leur capacité à optimiser le ciblage/la diffusion en cours de campagne.
  • Les inventaires media : si toutes proposent une combinaison de SEA, display et publicité payante sur les réseaux sociaux, elles se différencient par les réseaux couverts et l’inventaire display disponible.
  • Les KPI suivis et le type de mesure : la mesure peut être réalisée par le prestataire ou via un tiers de confiance (Adsquare, LiveRamp, Kairos fire, Retency, …) ; les KPI sélectionnés doivent permettre de comparer la performance avec d’autres régies digitales ou d’autres media.
  • D’autres points de différenciation plus tactiques : formats proposés et créas, identification des cibles affinitaires, optimisation des produits/offres relayés, qualité des reporting, …

Une bascule nécessairement multicanale pour un drive-to-store performant

Ces solutions peuvent apporter une réelle valeur ajoutée. Mais elles ne peuvent répondre seules à la problématique de la génération de trafic et de remplacement de leviers « mass market » comme le prospectus.

L’annonceur doit donc sélectionner des canaux générateurs de trafic à activer. D’une part, des canaux en propre : fiche point de vente Google My business, pages point de vente sur les réseaux sociaux, site web – notamment via des services (store locator, prise de rendez-vous, click & collect, …), CRM, SEO. D’autre part, des canaux payants : SEA (Google Ads, …), publicités localisées sur les réseaux sociaux (Facebook Ads, …), display, SMS, …

PILOTER

Pour aller plus loin, nous recommandons de piloter finement cette bascule budgétaire.

Pour ce faire, il est clé de comprendre les profils de chaque magasin : l’appétence au digital, la dépendance au prospectus papier ou à la promo, la situation concurrentielle, etc. En effet, pourquoi ne pas profiter de l’essoufflement de leviers « mass-market » comme le prospectus pour répondre plus précisément aux besoins des points de vente ? En fonction du nombre de magasins, cette personnalisation peut passer par une segmentation ad-hoc du parc, ou par une modélisation sur-mesure au magasin.

Dans un 2ème temps, l’annonceur doit remettre à plat les kits de communication proposés au point de vente, en sélectionnant les meilleurs canaux pour chacun. Reste ensuite à optimiser le budget attribué à chaque canal – dont l’annonceur doit négocier le coût en parallèle. Il s’agit alors d’obtenir un gain de performance à iso-budget ou de maintenir un trafic stable en générant des économies.

Enfin, les enseignes les plus avancées profiteront de cette démarche pour prendre de la hauteur. Pour cela, il s’agit d’abord pour elles de mener une réflexion sur leur générosité globale – promotionnelle et fidélisation – quitte à déplacer le curseur si la fid présente un meilleur bilan. Ensuite, il s’agit d’élargir leur palette avec des dispositifs innovants, comme la promotion gamifiée (Carrefour x Untie Nots) ou des bons plans locaux (Mr Bricolage x Achille).

La transition est donc en marche ! Les retailers n’ont pas attendu la généralisation probable du dispositif Oui pub pour prendre des mesures drastiques. La grande distribution en tête, suivie un peu plus loin par une partie de la distribution spécialisée.

48 heures ne suffiront pas à trouver le bon équilibre mais nul doute que, cette fois, nous n’attendrons pas 13 ans avant de voir les effets de ce bouleversement !

Illustrations : Viki Mmohamad, Arif Kemal Köroğlu, Antoni Shkraba et Lynx partners

Sébastien Floc’h, directeur

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