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La sérendipité, ce génie de l’innovation

“L’innovation est inséparable de l’art du moment”, explique Raphaël Enthoven lors de notre dernière Lynx partners Summer party qui avait choisi ce thème pour poursuivre nos réflexions sur les meilleures manières de changer, de transformer, de faire évoluer ordres établis et (mauvaises) habitudes.

L’innovation, l’art du moment juste

L’innovation déchaine les passions. Comme ces ardents élans, elle a ses raisons que la raison ignore. Du moins à un instant T : celui de la sérendipité. Au mystère de la création de l’innovation, le philosophe Raphaël Enthoven répond en effet par « la sérendipité, cet art, cette capacité, cette aptitude à faire par hasard -et par définition- une découverte inattendue et à en saisir l’utilité scientifique ou pratique ».

Hasard, rencontre, aléa, coïncidence, imprévu, occurrence, aubaine… De nombreuses découvertes ont croisé ces chemins impalpables. L’essayiste cite « le coca ou encore la pénicilline, tous deux découverts par sérendipité. »  Londres, 1928. Le bactériologiste écossais Alexander Fleming fait des recherches sur des souches de staphylocoque. « Il oublie de ranger son laboratoire, laisse pourrir ses expériences ». Un temps plus tard, il remarque un halo d’inhibition autour d’une moisissure teintée de bleu et de vert qui a contaminé une culture de staphylocoque. Il en déduit que la moisissure produit une substance qui bloque la croissance bactérienne. « C’est la rencontre entre la pourriture et un esprit comme celui de Fleming qui permet de mettre la main sur le bacille Penicillium notatum ».

Ce n’est donc pas « par hasard » qu’il l’a trouvé mais « par l’addition du hasard et de l’initiative », précise celui qui enseigne la philo à l’École Polytechnique. L’innovation se trouverait donc « à la croisée d’un réel qui demande à être saisi et d’une initiative qui, elle, fait ce qu’elle peut avec les informations dont elle dispose. »

« L’innovation nait de l’addition du hasard et de l’initiative »

Ainsi, d’initiatives malheureuses naissent d’heureuses avancées. Raphaël Enthoven poursuit avec l’exemple d’une équipe de scientifiques de l’université d’Irvine, en Californie. Les experts cherchaient à remplacer le lithium des batteries par des nano fils d’or pour augmenter leur durée de vie « lorsqu’un type a déposé par inadvertance du gel de Plexiglas sur les fils d’or ». Au final, la réaction permettra de transformer les filaments et de « créer des batteries trente fois plus résistantes » que celles qu’ils souhaitaient initialement produire. « Evidemment, encore faut-il qu’un esprit puisse se saisir de ce qu’il a vu à ce moment-là. C’est ça la sérendipité. Et c’est ça l’innovation : être capable d’assumer le carrefour qui se présente », souligne-t-il.

Action, observation, ingénuité

L’art du moment donc… Doublé d’un sens aigu de l’observation. Le passionné de littérature aime à citer le conte philosophique de Voltaire, Zadig ou la Destinée. Le sens du détail et de l’inspection mène Zadig droit au tribunal. Face « aux étoiles de justice », « abîmes de science » et autres « miroirs de vérité », Voltaire le pamphlétaire agite « le sens aigu et actif de l’observation », souligne l’agrégé. Pour lui, cette disposition habite l’homme dénué de préjugés, de théorie sur le monde, de sentiment de savoir. « Elle appartient à celui qui se promène dans le monde comme une page blanche. Mais une page blanche attentive, sur laquelle le monde vient s’inscrire en relief. »  Aussi, « l’innovation présume l’ingénuité », conclut-il.

L’erreur serait donc de penser que l’innovation induit la création « d’un monde tout nouveau, tout neuf. » Ce qui reviendrait « à rêver d’une couleur que l’on a jamais vue. »  Utopie. « Quand vous rêvez ou quand vous innovez, vous réalisez un travail de puzzelier inédit avec des éléments déjà constitués », observe le penseur. L’innovation n’est ni « le coup de génie »,  ni « la capacité à rompre » avec un ordre établi, ni « l’invention surnaturelle ». Ce n’est pas donc plus « un miracle ». « C’est l’attention renouvelée au monde qui nous entoure », martèle le philosophe.

Et en entreprise ?

A l’échelle de l’entreprise, quels enseignements suivre ? « Mener votre équipe vers l’inconnu » titrait un article de la revue Harvard Business Review dans une édition dédiée au sujet. « Pour favoriser l’innovation, vous n’avez pas besoin d’être un nouveau Steve Jobs ni de prédire l’avenir », assuraient Nathan Furr et Jeffrey H.Dyer, deux professeurs émérites. « Vous devez plutôt créer l’espace mental au sein duquel le processus doit avoir lieu ». La « page blanche » en somme. Comment ? « En vous donnant comme intention de repousser les limites », avancent les têtes chercheuses. En s’autorisant à « Penser autrement »,  comme le scandait une célèbre publicité (Apple, 1997).

Chez Lynx partners, nous suivons ce chemin. Nous croyons que l’entreprise qui veut innover aujourd’hui doit bouleverser ses codes, ses équipes, ses process, son style de management voire de gratification aussi et faire une place à cette sérendipité créatrice et salvatrice. A elle d’encourager, de valoriser, de mentorer l’autonomie de ses collaborateurs comme de ses partenaires pour que l’action et l’initiative reprennent le dessus. A elle de repenser son organisation pour que chacun, à son niveau, observe, produise et analyse, avec son savoir, ses expériences et sa candeur.  A elle, enfin, de diversifier ses profils, de croiser les regards, les angles et les façons de faire, de garder un oeil vif, frais, neuf, curieux sur tout ce qui l’entoure. Un oeil de lynx.

Innovation et Marketing

Stéphanie Çabale, directrice associée

Sources : Conférence de Raphael Enthoven, Lynx partners Summer party – 28 juin 2022 – Photos : Diane Adam

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