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Le paysage Media | Les premiers impacts du Covid sur le marketing

by Octavian Rosca

Dans cette série consacrée aux premiers impacts du Covid-19 sur le marketing, nous proposons un éclairage sur 3 angles : le paysage media, l’expérience retail et les attentes des consommateurs. La crise Covid-19 a conduit les entreprises à modifier leurs stratégies de communication et a provoqué des changements de modes de consommation. Focus sur les enjeux pour le marché publicitaire français.

Depuis 2006, jamais les français n’avaient autant regardé la télévision…

Le confinement a été une période inédite pour tous les acteurs de la société. Ce fut aussi le cas pour l’ensemble de l’écosystème du marché media et publicitaire car aucun n’avait de repère ni d’historique comparable pour anticiper cette situation.

Les français, confinés, étaient partagés entre télétravail, enfants, courses et besoin d’informations. Si la presse est considérée comme le media le plus fiable pour la qualité de l’information, le media était de facto moins accessible que la télévision, la radio ou les media digitaux pendant le confinement. La télévision, avec des grilles modifiées, a largement bénéficié de la situation en termes d’audience mais sans en tirer profit financièrement. Même la très symbolique minute d’applaudissement depuis nos fenêtres à 20h n’a pas remis en cause les audiences des journaux télévisés. Selon Médiamétrie : « Pendant les cinq premières semaines de confinement, la durée d’écoute individuelle de la télévision (DEI) s’élève en moyenne à 4 heures 43 quotidiennes, contre 3 heures 28, il y a un an ».

Les jeunes sont aussi au RDV : avec 69 % d’audience supplémentaire sur la même période, les jeunes de 15 à 24 ans sont le public qui enregistre l’augmentation la plus importante. Tous les programmes en profitent : les journaux télévisés, avec un pic d’audience historique enregistré lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 13 avril (36,8 millions de téléspectateurs en moyenne), mais aussi les programmes de jeux et de divertissement.

… Mais des investissements publicitaires en forte baisse

Même l’équation audiences fortes = encombrement publicitaire = inflation des tarifs a été mise à mal par le confinement. Au contraire même, l’équation a été contredite ! La majorité des annonceurs a stoppé ou décalé ses campagnes et nous a offert par la même occasion des écrans publicitaires aussi peu encombrés que le périphérique parisien pendant cette période.

Kantar, dès les premières semaines de confinement, a constaté une nette rupture dans les communications et le déclin progressif des investissements sur chaque media par rapport à 2019, par exemple en TV en nombre de spots (-34%) et d’annonceurs (-13%) mais dans des proportions encore plus importantes en radio, en presse et bien sûr en affichage. Le bilan du premier semestre 2020 du SRI indique également une baisse de -8% des investissements digitaux, et notamment de -17% sur le display. Les rares annonceurs qui ont maintenu ou augmenté leurs investissements ont bénéficié d’une visibilité inattendue à l’instar de Procter&Gamble.

Les données du BUMP (Baromètre Unifié du Marché Publicitaire) de l’Irep, Kantar et France Pub pour le 1er semestre 2020 sont parues mi-septembre : les recettes publicitaires nettes de l’ensemble des médias ont perdu près de 1,5Md€ soit une baisse de ‐22% par rapport au 1er semestre 2019. Le Digital est en baisse de 10%, les 5 media historiques de 30%…

des investissements publicitaires en forte baisse

Quel impact pour les acteurs media dans les prochains mois ?

La sortie du confinement bouscule les conditions d’une croissance économique durable et respectueuse des sujets sociaux et sociétaux… y compris pour nous, acteurs des media.

L’économie, d’abord : de nombreuses voix ont évoqué une inflation des tarifs media au deuxième semestre et en 2021 en mettant en avant le report des campagnes du printemps dès septembre. La « reprise » sera-t-elle accompagnée d’une inflation motivée par la reprise de valeur des media et par le jeu de l’offre et de la demande des espaces ? Cette inflation nous parait une hypothèse très optimiste de la sortie de crise. Les budgets coupés lors du deuxième trimestre seront-ils vraiment réinvestis à la rentrée ? Ce sera un sujet à surveiller à la rentrée au regard notamment des difficultés économiques de nombreuses régies. Quoiqu’il en soit, il parait d’ores et déjà acquis que l’année 2020 restera une année blanche en termes de performance d’achat et surtout de comparaison avec l’ historique. 2019 sera certainement l’année de référence pour mesurer la performance d’achat des agences media l’année prochaine.

Le social, ensuite … et surtout ? Une partie des français a profité du confinement pour réfléchir au sens de la vie, au rôle de la famille, du travail et de la société. Forts de leurs nouvelles convictions, les français ont donné une résonance, parfois exagérée, à certains faits divers et sujets de société du moment : le made in France, la gestion du Covid à l’international, Donald Trump, les violences policières, le mouvement #BlackLivesMatter Donald Trump (bis), …

Dans ce contexte, Twitter a joué le rôle de mégaphone (pas un mouvement sans son #)… et de censure lorsqu’il l’a jugé utile. Facebook au contraire a été moins vigilant sur le contrôle du contenu, de la désinformation et des « fake news ». Plus de 400 annonceurs y ont suspendu leurs publicités payantes, en accusant Facebook de ne pas lutter suffisamment contre les contenus haineux, discriminatoires, violents et politisés (#stophateforprofit). Même si certains annonceurs plus opportunistes utilisent aussi ce moyen de pression pour obtenir des concessions de Facebook sur des sujets moins idéologiques (transparence sur les contenus publicitaires, mesure de l’efficacité, …).

Mark Zuckerberg, dans des propos repris par The Information, ne semble pas inquiet : «Nous ne changerons pas notre politique à cause d’une menace représentant une petite partie de notre chiffre d’affaires. […] Les annonceurs reviendront bientôt ». En effet, selon le cabinet Pathmatics, les 100 plus gros annonceurs ont généré seulement 6 % des 70 milliards de revenus de Facebook en 2019. Les PME, ses principaux clients, sont peu susceptibles de boycotter Facebook, leur succès étant intimement lié à leur présence sur le réseau social.

Le rôle des marques dans « l’après »

Le rôle des marques dans « l’après »

Nous l’avons compris, notamment lorsque certaines marques ont rejoint le boycott de Facebook sous la pression populaire plus que par conviction, les individus attendent de la part des marques media, et en particulier des géants du numérique, qu’elles soient des modèles (en plus d’être gratuites !).

Si Facebook aura bien du mal à changer son image, Twitter, qui peine davantage sur le plan publicitaire, œuvre pour. Jack Dorsey, son patron, vient d’annoncer le don de trois millions de dollars pour permettre d’expérimenter dans 16 villes américaines la mise en place d’un revenu universel . Symbolique certes … mais les français sont attachés aux symboles et certaines marques semblent confondre parfois opportunité marketing, émotion et générosité.

Plus généralement au-delà des marques media, les français attendent des marques qu’elles offrent des produits/services irréprochables mais aussi qu’elles fassent preuve de valeurs en adéquation avec (certains de) leurs actes. Patagonia par exemple a une démarche très cohérente et la retrouver comme une des premières marques à s’exprimer sur le cas « Facebook » ne fut pas une surprise.

Les marques ont entendu les consommateurs et compris le potentiel : le 6 juillet, Naturalia a donné à sa raison d’être une valeur juridique en l’intégrant dans les statuts de la société. Carrefour avait fait de même il y a un an pour assurer « une alimentation de qualité pour tous ».

Autant de messages positifs et engagés, nouveau socle des communications de demain et de la relance du marché publicitaire ?

Benjamin Saguès, directeur 

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