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Les officines, des retailers comme les autres ? | Santé & Digital #4

Selon un sondage de l’IFOP mené en 2021, la santé serait la préoccupation principale de 72% des Français. Une tendance de fond qui n’a pas échappé à l’œil toujours vigilant de la grande distribution.  Fini, le temps où les pharmacies n’avaient pas à défendre leur monopole sur le secteur de la santé. Les grandes surfaces s’attaquent largement au marché et comptent bien conquérir un peu plus de territoire ! Une course en avant que les officines tentent de ralentir en faisant évoluer leur stratégie marketing et leurs offres. Mais, entre techniques empruntées à cette même grande distribution et diversification des produits, qu’ils soient paramédicaux et sans ordonnance, les pharmacies ne tendraient-elles pas à devenir progressivement des retailers … comme les autres ?

les officines vs la grande distri

Officines et grande distribution, un combat de longue haleine !

La guerre sans merci entre pharmacies et enseignes de la grande distribution ne date pas d’hier. Depuis quatre décennies déjà, les attaques et contre-attaques se multiplient sans qu’aucun camp ne parvienne à prendre le dessus. Les grandes surfaces, qui persistent dans leur volonté à briser le monopole des officines, ont cependant leurs victoires. Autorisées à proposer des produits de parapharmacie et moins limitées que leurs adversaires dans leurs réglementations et dans leurs offres, elles profitent de la croissance des marchés de la dermo-cosmétique et des compléments alimentaires pour gagner du terrain. Les prix attractifs qu’elles proposent, liés aux volumes achetés, se conjuguent avec le réflexe galopant des consommateurs pour les plateformes de vente en ligne. Ces avantages ne leur ont cependant pas encore permis de détrôner les officines. Pourtant, ces dernières réalisent pleinement le danger de cette compétitivité à l’image du marché aux Etats-Unis.

Avec des médicaments de moins en moins bien remboursés et de plus en plus de références alternatives disponibles sans prescription, le nouveau patient-consommateur perd son réflexe « pharmacie » au moindre bobo ou équipement paramédical. Et cette concurrence de la grande distribution a effectivement eu un impact direct sur le chiffre d’affaires des pharmacies. Le dernier exemple en date : les autotests à la Covid-19, qui pouvaient s’acheter en grande surface entre le 28 décembre 2021 et le 15 février 2022. D’un grand secours pour les patients durant la crise sanitaire, ils l’ont également été pour les officines elles-mêmes qui voyaient là le seul – et avantageux – moyen de s’en procurer pour les revendre ! Une pratique qui montre bien qu’il est donc impératif pour les pharmacies d’innover et de trouver de nouvelles trajectoires commerciales pour se développer dans un secteur très normé et règlementé.

les officines et les tendances

Jouer sur les tendances : le secret pour élargir son offre !

Avec la baisse des consultations et de la vente de médicaments remboursés, les pharmacies n’ont pas eu d’autre choix que de diversifier leur offre pour ne pas s’effondrer. Certaines d’entre elles ont choisi de compenser leurs pertes en misant sur les ventes de parapharmacie. Un choix plutôt pertinent, puisque les Français préfèrent acheter leurs produits d’hygiène ou de cosmétique au sein d’une officine, celle-ci garantissant à la fois un large choix de produits sûrs, perçus comme plus qualitatifs, et les conseils professionnels d’un pharmacien. Et le prix n’est, cette fois, pas un problème : au contraire, il rassure ! Les Français sont prêts à payer un produit plus cher à la condition que sa composition ait un minimum d’ingrédients susceptibles d’altérer la santé. C’est donc tout naturellement qu’ils préfèrent recourir aux pharmacies qu’aux grandes surfaces sur des marchés comme celui du soin du visage ou de la peau en général.

S’adapter aux besoins des consommateurs

Puisque les pharmacies jouent sur le succès du marché de la dermo-cosmétique, il est juste de dire que la diversification de leurs produits correspond aux évolutions des comportements et des mentalités. Si la crise sanitaire a provoqué un engouement pour l’automédication et l’auto-diagnostic, elle a également généré un fort intérêt pour le bio sur lequel les pharmacies ont également su rebondir. En 2021, près de 40 % des Français achètent régulièrement des cosmétiques en pharmacie. Parmi eux, 64 % orientent leurs achats vers du bio. Certaines enseignes de pharmacie ont donc développé des concepts « Naturalité » et ont mis en place des espaces dédiés aux produits parapharmaceutiques bios et naturels : apithérapie, aromathérapie, dermo-cosmétique naturelle, homéopathie, phytothérapie etc. Avec succès. Les officines doivent donc adapter leur stratégie aux nouveaux besoins et comportements de patients devenus clients. Ces derniers étant ultra-connectés, il est nécessaire pour elles de continuer à séduire en développant leur vitrine digitale et en créant des services personnalisés pour chaque achat.

Se différencier grâce aux MDD

Outre l’investissement des officines dans des offres de parapharmacie (bio ou non), on remarque également un 3ème axe de diversification : la création de nombreuses marques de distributeurs (MDD). Parfois communes à des pharmacies du même groupement, elles sont attractives pour les pharmaciens comme pour les consommateurs. La création de ces marques ou gammes de produits professionnelles sont pour les officines un excellent moyen de consolider leur expertise, de fidéliser leur clientèle et de concurrencer de grandes marques plus connues grâce à leur bas prix avec pour elles aussi une marge plus avantageuse.

« Un client sur trois aurait déjà acheté de la MDD en pharmacie ou en parapharmacie en France »

officines et merchandising

Reprendre les codes de la grande distribution : une affaire qui marche !

Face aux menaces de la vente en ligne et de la grande distribution, les officines n’ont pas d’autre choix que d’améliorer leur stratégie commerciale. Pour maximiser leurs ventes de parapharmacie et donner plus de visibilité aux MDD qui les différencient de la concurrence, nombre d’entre elles ont choisi de reprendre les codes de la grande distribution. Tarifs réduits, cartes de fidélité propres à chaque enseigne de pharmacie, promotions et offres saisonnières … tout est bon pour répondre aux nouvelles attentes de leurs clients qui bien évident s’y retrouvent complètement !

Le succès du merchandising

La crise sanitaire ayant freiné les déplacements physiques et pénalisé leurs ventes, les pharmacies ont aussi décidé de transformer leur agencement à la fois pour offrir à leurs clients le meilleur accueil possible et pour mettre en avant certains produits comme … leurs MDD. Le merchandising occupe donc aujourd’hui une place phare dans la stratégie des officines, à l’instar de tout retailer efficace. Celles-ci optimisent astucieusement leur espace de vente en anticipant le comportement des clients. Le but ? Qu’ils trouvent aisément ce qu’ils cherchent, qu’ils découvrent et aient envie d’autres produits que ceux qu’ils viennent chercher et qu’ils cèdent à des achats impulsifs. La mise en place de files d’attente unique, de rayons dédiés à des cibles ou situations particulières (enfants, grossesse, bio …) et de têtes de gondoles saisonnières en sont un exemple parlant.

L’expérience client au cœur des stratégies

Enfin, élément essentiel aujourd’hui d’un commerce attractif et performant, l’expérience client n’est plus négligée : elle occupe à juste titre de plus en plus de place dans l’organisation des officines. Dans certaines d’entre elles, des espaces détente sont agencés et des paniers de shopping sont mis à disposition des consommateurs. Pour autant, ces évolutions n’annihilent pas l’un des grands atouts dont disposent les pharmacies pour entretenir une excellente relation client. Il s’agit là des équipes présentes en physiques, qui créent du lien avec les patients-clients en leur faisant bénéficier de conseils pertinents et professionnels. Un environnement humain qualifié qui apporte plus de valeur que les parapharmacies de grande surface.

« Pour choisir le médicament qui convient à leurs symptômes, 2/3 des sondés font confiance à leur pharmacien, avec une note de 8 sur 10 au conseil »

Le conseil, valeur ajoutée des officines

Dans ce bouleversement des codes et des habitudes qu’engendre notre société connectée, les pharmacies changent donc leur fusil d’épaule et s’adaptent fortement, à la fois en reprenant les codes efficaces de la grande distribution et en conservant leurs signes et atouts distinctifs. Sur ce sujet éminemment sensible qu’est le bien-être et la santé, les pharmacies ont réussi à conserver l’image de qualité et d’expertise qui manque à la grande distribution.  Car, outre l’évolution commerciale de leur offre et la progression de leur stratégie marketing, ce sont les conseils fournis par les pharmaciens qui constituent pour elles une valeur ajoutée essentielle. Et n’est-ce pas finalement salutaire pour ces entreprises que chacune trouve sa place dans une cohabitation qui in fine profite aux consommateurs, patients et clients ?

Sources : Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), OCP, Sondage Harris Interactive pour l’Afipa, Etude réalisée par l’institut Senseva

Stéphanie Çabale, directrice associée
Julie Maubé, consultante

Illustrations : Anna Tarazevich, Piman Khrutmuang, Godorenkoff, Vasyl

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